Les
Africanistes d’Europe et la terminologie en langues africaines :
quelle coopération ?
Marcel Diki-Kidiri, (LLACAN – CNRS) A. Baboya Edema (CELTA/LLACAN-CNRS) |
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Un constat de carence notoire Quand on aborde la question de la terminologie en langues africaines dans les institutions européennes, on est tout de suite confronté à un double constat :
Ces organismes sont de plus en plus convaincus de la nécessité de recourir aux langues africaines dans le cadre de leurs programmes de développement afin de garantir une meilleure participation des populations à ces programmes, gage de leur succès. Or, les experts africanistes avec qui elles collaborent n'ont jamais pu bénéficier d'une formation de base à la problématique de l'instrumentalisation des langues africaines, et en particulier de leur développement terminologique, puisque cette discipline n'est enseignée nulle part, du moins jusqu'au moment où nous écrivons ces lignes. Comment comprendre cette carence ? Est-ce tout simplement que personne n'y a pensé, ou bien y a-t-il des raisons plus profondes qui expliqueraient ce manque d'intérêt pour cette question lorsqu'il s'agit des langues africaines ? A partir des débats que nous avons eu avec de nombreux collègues, nous croyons pouvoir avancer prudemment quelques éléments de réponse.
Une explication possible Depuis Ferdinand de Saussure, tout linguiste digne de ce nom se doit de bannir de sa pratique toute approche prescriptive dirigiste et normative qui conduit inévitablement à une intervention volontariste sur la langue, voire à la manipulation des données. Une telle approche est tout simplement contraire à la déontologie scientifique dès lors qu'elle altère l'authenticité et l'intégrité des données mises en avant pour étayer une analyse ou une théorie. On comprend que les linguistes africanistes qui, pour la plupart, travaillent à décrire des langues mal connues ou même totalement inconnues de la communauté scientifique internationale, ne soient on ne peut plus réservés lorsqu'on leur parle de terminologie en langues africaines. Certains ont vite fait d'assimiler cela à un interventionnisme idéologique sur la langue. D'autres ne se sentent pas concernés par l'instrumentalisation des langues africaines, estimant qu'il revient aux locuteurs natifs de se charger de l'évolution de leurs langues. Ils se contentent d'observer et d'étudier les changements linguistiques résultant de la pratique des locuteurs natifs. Le paradoxe, c'est que le linguiste fait partie des experts de la langue, et est rarement le simple locuteur natif. Et c'est à l'expert qu'un organisme international, ou une coopérative locale, fait appel pour lui demander d'élaborer, par exemple, un livret technique sur les ravageurs de cotons, les pesticides, ou les maladies du bétail.
Un appel à coopération pour changer les choses Le développement terminologique des langues africaines ne consiste pas, pour l'expert linguiste, à intervenir de façon dirigiste dans la façon de parler des gens, mais à les aider à construire dans leurs langues les termes techniques qui leur permettront de s'approprier les nouveaux concepts, les nouvelles technologies nécessaires pour exister, échanger, et vivre dans le monde d'aujourd'hui. Comment le linguiste ne pourrait-il pas occuper une place privilégiée parmi les spécialistes du langage pour accompagner de telles évolutions dans ce qui fait l'objet même de sa spécialité ? Lorsqu'il s'agit d'expliquer leurs droits aux populations dans leurs langues afin qu'ils puissent mieux défendre leurs intérêts, lorsqu'il faut apprendre aux gens à maîtriser de nouvelles technologies à leur portée afin qu'ils puissent améliorer leur mode de vie, lorsqu'il s'agit de transférer un savoir ou un savoir-faire, la construction d'une terminologie appropriée est non seulement nécessaire mais encore utile et efficace, si elle se fait selon des règles bien précises, en étroite collaboration avec les locuteurs natifs et en prenant toutes les précautions d'usage. Encore faut-il au moins chercher à savoir comment faire pour mener une action sur la langue sans être dirigiste ni porter atteinte à l'intégrité des données, surtout quand on n'est pas un locuteur natif ! Les langues et les sociétés subissent de toute façon des métamorphoses qui sont à la fois linguistiques, cognitives, psychologiques, sociales, juridiques et politiques. La compréhension de ces processus de métamorphose ne peut être que le résultat d'une recherche partagée à laquelle les africanistes de toutes les disciplines peuvent contribuer. C'est dans ce sens et cet esprit de coopération que nous faisons les propositions ci-après.
Nos propositions De nombreux pays en voie de développement, notamment ceux d'Afrique et des Caraïbes, expérimentent la double nécessité, d'une part, de s'ouvrir très largement à la modernité, en s'appropriant des technologies nouvelles et les concepts qui vont avec, en s'intégrant à une certaine forme de mondialisation, et d'autre part, de préserver leurs identités culturelles, garantes de leur existence en tant que nation. Des communautés minorées ou minoritaires, tant en Europe qu'en Afrique, sont également confrontées à la nécessité d'affirmer leurs identités particulières sans pour autant se couper d'un ensemble plus vaste dans lequel elles se reconnaissent pleinement. Sur le plan linguistique, le dilemme de ces deux situations se traduit en même temps qu'il se résolve par l'instrumentalisation et l'enseignement de la langue d'identité à côté de la langue d'intégration. Et la terminologie est évidemment au cur de toute la problématique de l'instrumentalisation des langues quelles qu'elles soient. C'est pourquoi, depuis trois années, nous conduisons des re-cherches sur le développement terminologique des langues africaines au sein du département 4 du laboratoire " Langage, Langues et Cultu-res d'Afrique noire (LLACAN) ". Ce département 4, intitulé " Langues africaines : développement et technolinguistique ", est ou-vert à l'étude des applications linguistiques et des nouvelles technolo-gies appliquées aux langues africaines. Il serait souhaitable que d'autres institutions africanistes d'Europe, puissent nous rejoindre dans l'exploration de ce vaste secteur de re-cherche. Cela permettrait :
Pour nous contacter Nous pouvons poursuivre cette discussion avec ceux que cela inté-resse, pour une éventuelle collaboration. Vous pouvez visiter notre site sur la Toile, ou nous joindre aux adresses suivantes : LLACAN (CNRS) Téléphone
: 00 (33) 1 45 07 58 86 ou 5816
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