Traduction
et néologie. Proposition de coopération |
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L'activité quotidienne des traducteurs est une source importante de néologismes. Les traducteurs constituent également des antennes sensibles pour une "veille néologique". Nous proposons ici une formule de coopération qui vise à faciliter et à rentabiliser leurs activités néologiques.
1. Néologie primaire et néologie traductive Si l'on définit la néologie dans les langues de spécialité comme le processus de formation de termes nouveaux et non, d'une manière plus restreinte, comme l'ensemble des techniques de formation des termes, on est amené à distinguer deux types de néologie : celle où la formation d'un nouveau terme, dans une langue précise, accompagne la formation d'un nouveau concept et celle où le terme existe déjà dans une langue et où un nouveau terme est créé dans une autre langue. La situation typique dans laquelle se déroule le premier processus est la situation de travail (le laboratoire de recherche, la fabrication de nouveaux produits, etc.). La situation typique de la deuxième forme de néologie est la traduction. Appelons " néologie primaire " la première forme et la seconde " néologie traductive ". La néologie traductive peut être le fait, sporadique ou plus ou moins systématique, d'instances chargées de terminologie. Ces instances proposent des équivalents pour des termes qui souvent circulent déjà dans la langue d'arrivée sous forme d'emprunts, de calques ou de néologismes mal formés. Cependant, la forme la plus ancienne et la plus naturelle de néologie traductive, c'est-à-dire de formation et d'introduction de nouveaux termes pour des termes qui ont déjà un précédent linguistique, est la traduction, activité quotidienne des traducteurs de textes techniques et scientifiques.
2. Les traducteurs-néographes Le décalage entre l'apparition des termes et leur consignation dans les dictionnaires constitue un problème pour les traducteurs, rédacteurs et spécialistes des domaines techniques, scientifiques et sociaux. Cette partie du vocabulaire spécialisé fait régulièrement défaut dans les dictionnaires sur papier, mais également dans les dictionnaires et banques de données terminologiques sur support électronique. Les traducteurs sont parmi les premiers à être confrontés aux nouveaux termes en langue-source et aux nouveaux concepts, pour lesquels leur métier les contraint à proposer un équivalent. Quoiqu'un traducteur isolé ne crée pas quotidiennement des néologismes et ne s'occupe que d'une partie de la néologie, à savoir la néologie terminologique ou dénominative, l'ensemble du monde de la traduction déploie une activité néographique variée et multiple, surtout dans les domaines où la néologie primaire est elle-même foisonnante. Les traducteurs ont, en effet, à produire, dans la langue d'arrivée, un texte ayant les mêmes fonctionnalités que le texte dans la langue de départ. La valeur liée au néologisme, souvent signalée dans le microcontexte de la langue de départ, c'est-à-dire dans l'ensemble des informations véhiculées par la phrase ou le paragraphe, nécessite souvent un néologisme parallèle dans la langue d'arrivée. Une périphrase ferait disparaître la fonctionnalité du néologisme.
3. La traduction, lieu stratégique pour la néologie Les néologismes créés par les traducteurs apparaissent immédiatement dans un contexte réel de communication, c'est-à-dire l'environnement qui favorise une propagation naturelle des nouveaux termes. L'audience du traducteur est celle du commanditaire de la traduction, qui peut être importante. Les néologismes proposés par les traducteurs circulent immédiatement dans des écrits, support qui semble, pour les termes techniques et scientifiques, la voie de pénétration principale des néologismes, qui a le plus grand potentiel d'acceptabilité dans une communauté linguistique et qui assure donc d'emblée une légitimation, une valorisation et une consécration du nouveau terme.
4. La terminologie au service des traducteurs De par leur compétence professionnelle, les traducteurs ont une conscience linguistique et les aptitudes à former des néologismes corrects. Ils connaissent les ressources de la langue pour faire face à l'augmentation rapide du vocabulaire technique et scientifique. Mais, selon une enquête effectuée en 1991, un certain nombre de traducteurs regrettent qu'il n'existe pas de "guide pratique de la néologie" conçu à l'intention des traducteurs, réunissant non seulement les procédés de formation de nouveaux mots que permet le système morphologique de la langue, mais aussi l'ensemble des règles socio-culturelles permettant de déterminer parmi les mots potentiellement corrects, ceux qui seront le plus facilement acceptés par la communauté. Souvent pressé par le temps, le traducteur ne peut pas consacrer beaucoup d'énergie à la recherche du néologisme correct. Aussi, plus souvent qu'il ne le souhaiterait, il recourt à des emprunts ou à des périphrases. Une étude des néologismes créés par des traducteurs francophones a mis en lumière que ces traducteurs recourent plus souvent que nécessaire à la formation syntagmatique et créent dès lors plutôt des mini-définitions et que deuxièmement ils n'échappent pas assez à l'attrait du signifiant de la langue source. Les traducteurs ont néanmoins conscience de leur rôle de néographes. Selon une enquête menée en Belgique, au Canada, en Suisse et au Luxembourg, 76% des traducteurs estiment qu'ils ont un rôle à jouer dans les processus de diffusion des néologismes bien formés. Or, la terminologie (comme discipline étudiant le vocabulaire scientifique et technique) a élaboré, dans ce domaine, des règles de bonne conduite, sur la base de l'observation des régularités de la néonymie, de la néologie de sens et du fonctionnement des vocabulaires techniques et scientifiques. Ces règles ne sont ni normalisatrices, ni politiques, mais pragmatiques, au service de la gestion des vocables. Il s'agit d'une sorte de grammaire de la néologie, avec "trucs et astuces", présentant les matrices lexicogéniques des différentes disciplines scientifiques et techniques et les règles socio-culturelles générales de l'acceptabilité des néologismes. A titre d'exemple, on peut rappeler quelques principes de base, qui sont d'ailleurs les principes de la traduction technique et scientifique :
Le néologisme passe donc par le prisme du système notionnel avant de passer par le prisme du système de la langue. Dans le cas de la traduction par équivalence des termes, qui joue un rôle plus important dans la traduction spécialisée que dans la traduction de textes littéraires, le traducteur ne cherche pas d'emblée à traduire le terme. Il identifie la notion exprimée par le texte de départ et réexprime ensuite la notion dans le texte traduit. La question qu'il se posera est donc celle-ci : quel est le terme dans la langue-cible dont le sens correspond exactement à la notion exprimée par le terme dans la langue-source ? L'adéquation, c'est-à-dire la qualité qu'a un terme de bien convenir à la notion qu'il exprime, dans le contexte précis du texte à traduire, est donc l'exigence principale. Le traducteur sait en effet qu'une réalité peut souvent être considérée et dénommée selon plusieurs facettes ou points de vue. Cette connaissance lui permettra de créer de bons équivalents, des termes qui donnent une image aussi nette que possible du référent. La connaissance de l'univers notionnel du domaine, grâce à laquelle le traducteur appartient à la même communauté de pensée que l'auteur et le lecteur, lui permettra de reconnaître plus facilement la fonction du néologisme dans la LS.
5. Service et coopération Les terminologues considèrent les traducteurs souvent uniquement comme leurs clients. Mais les traducteurs peuvent également devenir des fournisseurs. Il faut pour cela canaliser leur production et redistribuer aux personnes intéressées le fruit de leur travail. Si l'on admet que les traducteurs créent des néologismes dans leur langue et que ces néologismes commencent leur vie dans un discours réel, à savoir celui du commanditaire de la traduction d'une part et que, d'autre part, le traducteur spécialisé est une autorité dans le domaine dans lequel il traduit, il est très utile que ces néologismes soient signalés rapidement aux traducteurs spécialisés dans le même domaine, aux terminologues qui travaillent dans ce domaine et, si possible, aux auteurs du terme dans la langue source. Il ne s'agit pas encore d'une consignation du terme comme terme officiel ou normalisé. Ceci se fait à un stade ultérieur, quand le terme commence à circuler indépendamment de son créateur. Pour réaliser un tel échange, on pourrait envisager la création d'un réseau européen de traducteurs. Ce réseau aurait trois objectifs : 1. l'assistance en matière de néographie, 2. le recensement et la diffusion des néologismes créés par les traducteurs et 3. l'étude de la pratique néographique des traducteurs. Ces objectifs peuvent être poursuivis par les initiatives suivantes :
Un tel réseau existe actuellement en Communauté française de Belgique. Il a été créé avec le soutien du Service de la langue française du Ministère de la Culture, et fonctionne maintenant sur le principe donnant-donnant. Il a permis de récolter, d'examiner et de redistribuer 120 néologismes en un an, ce qui n'est pas, bien sûr, un nombre impressionnant. Une étude des caractéristiques des procédés utilisés par les traducteurs sera publié dans le prochain numéro de la revue Terminologies nouvelles. L'idée de concevoir un réseau européen est venue des traducteurs participant à ce réseau. Ils estiment que de cette manière on pourrait instaurer un échange fructueux entre traducteurs du même domaine technique ou scientifique, permettant de trouver de meilleurs termes, d'éviter une synonymie gênante et une meilleure collaboration entre traducteurs et terminologues.
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