La coop�ration terminologique entre services linguistiques des organisations internationales
Marie-Jos�e de Saint Robert
Chef de la Section de terminologie et de documentation technique du Service linguistique de l'Office des Nations Unies � Gen�ve Secr�taire depuis 1993 de la R�union interinstitutions sur la terminologie et la traduction assist�e par ordinateur (JIAMCATT)
 

 

La coopération terminologique entre services linguistiques des organisations internationales a commencé à s'institutionnaliser à partir du milieu des années 80 avec l'apparition des micro-ordinateurs et des outils informatiques destinés à la traduction associés à d'importantes bases de données terminologiques. Pour les services linguistiques des organisations internationales, il devenait alors de plus en plus évident qu'il ne suffisait plus d'échanger entre eux des glossaires, à l'époque sur support papier, mais qu'il fallait également rendre leurs ressources terminologiques facilement exploitables. Des praticiens de la terminologie et de la traduction en milieu international ont donc cherché à se réunir régulièrement pour échanger leurs connaissances et leurs expériences dans le domaine des contenus et des contenants. C'est ainsi qu'a vu le jour en 1987 la Réunion interinstitutions sur la terminologie et la traduction assistée par ordinateur (JIAMCATT, acronyme formé sur l'appellation anglaise de cette initiative : Joint Inter-Agency Meeting on Computer-Assisted Translation and Terminology). Le chemin parcouru depuis lors par les organisations internationales en matière de coopération terminologique et d'échanges dans le domaine des aides à la traduction mérite d'être mieux connu. En effet, JIAMCATT s'est par exemple dotée depuis 1997 d'un site réservé sur l'internet qui donne notamment accès à un fonds terminologique multilingue, réunissant les glossaires officiellement transmis par les services linguistiques des organisations internationales. Les problèmes rencontrés dans la constitution de ce fonds, et les solutions esquissées, peuvent avoir valeur d'exemple pour les gestionnaires de la terminologie en Europe désireux de mettre des ressources en commun.

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Le fonds terminologique commun des organisations internationales a d'abord été conçu comme un outil de rationalisation de la diffusion et de la consultation des glossaires des organisations internationales. Il a pour vocation de réunir toute la production terminologique établie par les services linguistiques et présente les caractéristiques suivantes :

- une vocation de généraliste que ne rebute pas l'extrême spécialisation : les domaines dans lesquels les organisations internationales ont été conduites à effectuer des recherches terminologiques ne se limitent pas aux appellations officielles et au vocabulaire administratif de leurs institutions. Tous les domaines y sont présents, de l'espace extra-atmosphérique à la microbiologie, en passant par l'économie, le droit, tant national qu'international, l'environnement, y compris les noms des plantes et des insectes, ou encore le désarmement. Il convient de souligner que les terminologies nationales et régionales sont également recherchées par les traducteurs en milieu international, les documents des organisations internationales faisant souvent référence à des expériences nationales ou régionales. Les données terminologiques sont en principe disponibles dans les langues officielles et de travail des organisations internationales, bien que le moteur de recherche de la base JIAMCATT ne fonctionne à l'heure actuelle que dans les langues à alphabet latin. De fait la grande majorité des glossaires des organisations du système des Nations Unies sont actuellement sur le site en anglais, français et espagnol.

- une grande souplesse quant à l'enrichissement du fonds terminologique commun : la base de données JIAMCATT sur l'internet n'est pas gérée par un logiciel de gestion de base de données ; un moteur de recherche en texte intégral permet d'exploiter son contenu. Ce choix technologique présente les avantages suivants :

i) l'importation des données ne nécessite pas un important travail de restructuration, ni de conversion ; elle ne requiert pas non plus l'adoption préalable d'un format d'échange unique que les services linguistiques auraient grand peine à respecter, tant sont diverses les contraintes qui leur sont propres et tant sont limitées les ressources qui leur sont en général allouées ;

ii) la taille du fonds terminologique commun, qui compte plus d'un demi-million de termes, double chaque année. Une fois enrichi de l'apport de toutes les organisations partenaires, le fonds pourrait atteindre quelque six millions d'entrées, d'après les statistiques d'indexation relevées à l'Office des Nations Unies à Genève.

iii) le mécanisme d'actualisation des données est relativement simple et rapide : les glossaires qui figurent sur le site sont régulièrement actualisés par leurs auteurs et sont ensuite rapidement réindexés par les administrateurs de la base de données JIAMCATT sur l'internet.

- une grande flexibilité pour l'utilisateur : le fonds se compose de plusieurs modules et permet ainsi d'offrir des possibilités d'exploitation à au moins quatre niveaux :

1) le téléchargement de glossaires spécifiques à partir du serveur ftp : en fonction de ses besoins, l'utilisateur sélectionne un ou plusieurs glossaires sur le serveur qu'il importe sur son ordinateur et indexe par ses propres moyens. Il est possible de télécharger à ce jour plus de 160 glossaires des organisations internationales ;

2) la consultation de la base de JIAMCATT sur l'internet : elle permet de retrouver facilement un terme dans les 160 glossaires sans avoir à les télécharger sur son propre système. L'interface de consultation de la base, très conviviale, privilégie la simplicité et la sécurité des données. La base JIAMCATT a notamment pour vocation de permettre aux organisations internationales qui n'ont pas de sites terminologiques sur l'internet de diffuser leur terminologie sur le réseau des réseaux ;

3) la recherche monosite : une page du site propose des liens aux sites terminologiques des organisations internationales, consultables séparément ;

4) la recherche multisite : elle permet d'interroger simultanément une dizaine de sites terminologiques des organisations internationales, y compris la base de JIAMCATT. Une plateforme d'interrogation unique lance simultanément une recherche dans les principaux sites terminologiques des organisations internationales sur l'internet (EURODICAUTOM termes (la banque de données terminologiques de la Commission européenne) ; EURODICAUTOM sigles et abréviations ; JIAMCATT sur internet (base composée des fichiers officiels des organisations internationales) ; Termite de l'UIT, ILOTerm du BIT, FAOTerm, Euterpe du Parlement européen, TIS du Conseil européen, TEPA de TSK (banque de données du Centre finlandais de terminologie technique, essentiellement en anglais, suédois et finnois) ainsi que le dictionnaire Logos.

- le fonds terminologique commun engendre des économies d'échelle pour les gestionnaires de terminologie. Les organisations internationales n'ont qu'une interface d'interrogation à consulter pour avoir accès à la totalité des recherches terminologiques effectuées dans les organisations internationales. En s'approvisionnant en glossaires sur le site de JIAMCATT, les administrateurs de bases de données terminologiques ont l'assurance de travailler sur les versions authentiques, validées et mises à jour par leurs auteurs. Ils sont également sûrs d'y trouver des données lisibles et exploitables en raison du soin particulier que portent les administrateurs du fonds à ces éléments d'assurance qualité.

La mise en place du fonds terminologique commun a permis de résoudre un certain nombre de problèmes qui se sont posés au moment de la juxtaposition des ressources terminologiques des organisations internationales. Trois problèmes méritent plus particulièrement d'être mentionnés ici.

1. Les duplications de travail : depuis une douzaine d'années, les responsables de la terminologie dans les organisations internationales se sont heurtés à la difficulté de choisir un thème de recherche terminologique commun, tant sont différentes les priorités de chaque organisation. L'avènement du fonds terminologique commun a permis de rationaliser leur travail dans la mesure où avant de se lancer dans un projet, il leur est loisible de vérifier ce qui est déjà disponible dans d'autres organisations. Divers partenaires de JIAMCATT reconnaissent avoir renoncé à un projet terminologique après avoir consulté le fonds terminologique et découvert qu'une grande partie de leurs questions terminologiques trouvaient une réponse sur le site de JIAMCATT. A l'occasion de la session annuelle de JIAMCATT de 1999, les participants ont par ailleurs recommandé la création d'un forum de discussion où les termes non trouvés dans la base de JIAMCATT feraient l'objet d'une consultation générale des partenaires avec indexation des réponses dans la base.

2. La profusion de variantes : la juxtaposition des ressources terminologiques des organisations internationales a fait apparaître de nombreuses répétitions et parfois de nombreuses divergences d'une source à l'autre, pour ce qui est d'un même terme. Ces variantes laissent l'utilisateur dans l'incertitude, surtout s'il s'agit d'une appellation officielle. Les divergences dans la manière de désigner dans une langue ou une autre une entité administrative ou une conférence, loin d'être enrichissantes pour le traducteur, l'obligent à de longues vérifications. Si une harmonisation interorganisations des appellations officielles est reconnue comme nécessaire, les problèmes que pose sa mise en oeuvre n'ont pas été à ce jour résolus. En effet, trois obstacles sont apparus en regard d'une approche concertée de l'harmonisation des appellations officielles :

- les services linguistiques des organisations internationales entendent rester maîtres de la terminologie qu'ils utilisent et ne souhaitent pas laisser à un organe de coordination terminologique le soin d'organiser l'harmonisation des données, redoutant par là que des appellations leur soient imposées pour des raisons autres que d'usage ou d'orthographe. Ils préfèrent en conséquence se réserver l'exclusivité du travail de fixation et de toilettage des données qu'ils ont recensées ;

- le contenu même d'une base commune de données relative aux appellations officielles ne fait pas l'objet de consensus. Certains utilisateurs exigent qu'en plus des titres en vigueur à un moment donné figurent également les titres antérieurement en usage, ce qui peut nécessiter des recherches complexes s'il s'agit de préciser les dates auxquelles ces titres ont eu cours. D'autres utilisateurs soutiennent que seules les appellations officielles courantes devraient être conservées dans la base ;

- la charge de travail des responsables de la terminologie dans les organisations internationales n'a pas permis à ce jour aux services linguistiques de mettre au point un projet de toilettage commun. Plusieurs partenaires ont d'ores et déjà annoncé qu'ils ne disposaient pas de moyens leur permettant de participer activement aux efforts d'harmonisation.

La solution qui s'est imposée d'elle-même est la moins contraignante pour les services linguistiques. L'exactitude d'une appellation officielle resulte de la responsabilité de l'organisation qui l'a recensé. Celle-ci peut consulter, et de plus en plus tient à consulter, le fonds terminologique commun pour harmoniser dans la mesure du possible son usage avec celui des autres organisations. A terme le fonds terminologique commun deviendra ainsi un instrument d'amélioration de la communication internationale multilingue. La saisie par différentes organisations des mêmes appellations doit être considérée en attendant comme un exercice salutaire au sens où la découverte sur le site de JIAMCATT de variantes désignant une même entité déclenche dans chaque organisation un mécanisme de vérification interne et de proposition de solution qui est en lui-même une garantie supplémentaire de qualité pour autant que l'utilisateur du site veuille bien communiquer le fruit de ses recherches à l'ensemble de la communauté. Le forum de discussion électronique qui sera mis en place sur le site de JIAMCATT permettra de signaler les incohérences relevées lors de la consultation du fonds terminologique commun de même que les solutions retenues pour y mettre un terme.

3. L'intégration de la terminologie dans le processus de la traduction : il est devenu de plus en plus difficile de parler de terminologie au service de la traduction sans mentionner les aides informatiques à la traduction. Il en est ainsi des logiciels de traduction assistée par ordinateur, qui ont tous une composante terminologique plus ou moins élaborée. L'articulation de cette composante dans la pratique institutionnelle fait aussi l'objet d'échanges d'expérience entre partenaires de JIAMCATT. Il en est de même des logiciels d'extraction automatique de termes dont l'étude a été inscrite à l'ordre du jour de la prochaine session annuelle de JIAMCATT en mai 2000.

Des difficultés subsistent en ce qui concerne le fonds terminologique commun des organisations internationales dans au moins trois directions :

1. Les restrictions posées à l'accès au fonds : tous les traducteurs n'ont pas, tant s'en faut, la possibilité à l'heure actuelle de consulter ce fonds. Le terme "partenaire de JIAMCATT" désigne en effet une catégorie bien précise de membres institutionnels. A vocation à être partenaire de JIAMCATT tout organisme international faisant de la terminologie ou tout ministère ou institution nationale dont les données terminologiques présentent un intérêt pour les utilisateurs travaillant dans un contexte international. À ce jour plus d'une soixantaine d'institutions sont partenaires de JIAMCATT et plus d'une trentaine [1] ont déjà apporté une contribution au fonds terminologique commun. Une dizaine de partenaires comptent le faire prochainement [2].

Tout membre de ces institutions est habilité à avoir accès au site réservé de JIAMCATT, à savoir :

- le personnel des services linguistiques et/ou de conférence des organisations internationales (intergouvernementales ou non gouvernementales) et des services publics nationaux, partenaires de JIAMCATT (traducteurs, interprètes, terminologues, documentalistes, auteurs de rapports, etc.) ;

- les traducteurs et les interprètes de conférence ;

- les enseignants des instituts de formation des traducteurs, des interprètes et des linguistes ;

- les organes de la Fédération internationale des traducteurs.

Les restrictions d'accès tiennent à plusieurs facteurs : le nombre limité de licences négocié pour l'utilisation du logiciel de recherche en texte intégral, les droits d'auteur pour ce qui est du contenu de certaines bases de données ; les objections soulevées par les services de publication de certaines organisations internationales qui voient dans la mise à disposition gratuite des glossaires un manque à gagner pour leur organisation ; les réticenses de nombre d'administrateurs de données terminologiques qui hésitent à livrer au public des collections de données n'ayant pas fait l'objet d'un toilettage complet.

2. L'incapacité des partenaires à se mettre d'accord sur un format de présentation des données unique : cet état de fait n'est pas sans poser de problèmes. Chaque producteur de glossaires retient et structure les informations terminologiques qui lui paraissent pertinentes dans son travail. Un grand nombre d'auteurs de glossaires n'ont pas adapté la présentation de leurs travaux aux nécessités de la publication électronique. Les informations nécessaires à l'interprétation correcte des données terminologiques restent confinées dans les préfaces et les introductions placées au début des glossaires (explication des acronymes fréquemment utilisés, nom des sources consultées, etc.), alors que ces renseignements mériteraient de figurer aux côtés des termes qu'ils sont censés contribuer à expliquer ou à justifier. Si les problèmes de conversion ou de reformatage qui se posent au moment de l'inclusion des fichiers sur le site de JIAMCATT ne sont pas insurmontables, en revanche le manque d'homogénéité dans la présentation et le contenu des fiches terminologiques posera inévitablement un problème le jour où les partenaires de JIAMCATT décideront de préparer ensemble un cédérom de la terminologie des organisations internationales.

3. L'inégalité de traitement de toutes les langues utilisées par les organisations internationales : les langues à alphabet non latins sont en effet temporairement désavantagées, aucun budget n'étant alloué par les partenaires de JIAMCATT au financement de l'achat d'un logiciel de gestion ou de consultation des données terminologiques, capable de traiter toutes les langues officielles des organisations internationales à la fois.

En conclusion, la création et l'alimentation du site de JIAMCATT sur l'internet, les rencontres annuelles des partenaires de JIAMCATT pour approfondir les questions ayant trait à l'utilisation des outils informatiques, les échanges quasi-quotidiens qui se sont instaurés entre les partenaires de JIAMCATT, portés par "l'esprit de JIAMCATT", témoignent éloquemment de l'importance attachée au niveau international à la coopération en matière d'aides informatiques appliquées à la terminologie. Parce qu'il répond avec réalisme au souci universel de rationalisation et de recherche de l'efficacité, cet effort de coopération international mérite d'être mieux connu et soutenu par les services linguistiques des organisations internationales. Pour accroître la visibilité des activités et des ressources de JIAMCATT, il a été décidé dernièrement d'augmenter le nombre de pages du site de JIAMCATT destinées au grand public, site que l'on peut consulter à l'adresse suivante :

http://www.unsystem.org/jiamcatt

Le fonds terminologique commun des organisations internationales peut d'ores et déjà être considéré comme un des principaux fleurons de la coopération linguistique entre organisations internationales. Il constitue indéniablement une vitrine de leur travail au service de la communication internationale et fournit une aide désormais irremplaçable à tous ceux dont la mission est de relever les défis du multilinguisme institutionnel.

 


[1] L'Agence spatiale européenne (ESA), Amnesty International France, la Banque internationale de reconstruction et de développement (BIRD), la Banque des règlements internationaux (BRI), le Bureau international du Travail (BIT), le CERN, la Commission économique et sociale pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), la Commission de l'Union européenne, le Comité international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (CICR), le Conseil de l'Union européenne, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), le Conseil de l'Europe (COE), EUROCONTROL, la FAO, le Fonds international de développement agricole (FIDA), l'ISO, l'OCDE, l'Office des Nations Unies à Genève, l'Organisation des Nations Unies à New York, l'Organisation internationale pour l'unification des néologismes terminologiques, l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Organisation m�t�orologique mondiale (OMM), l'Organisation mondiale de la propri�t� intellectuelle (OMPI), l'Organisation mondiale de la sant� (OMS), l'Organisation panam�ricaine de la sant� (OPS), l'OTAN, le Parlement europ�en, l'Union internationale des t�l�communications (UIT), l'Union postale universelle (UPU).


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[2] Neuf organisations ont en effet annoncé en mai 1999 l'envoi imminent de leurs fichiers. Il s'agit de la Banque européenne d'investissement (BEI), du Centre du commerce international CNUCED/OMC, de la Commission du Pacifique (CPS), du Fonds monétaire international, d'INTERPOL, de l'Office des Nations Unies à Vienne, du Programme alimentaire mondial (PAM), de l'Union de l'Europe occidentale et de l'UNESCO.


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