DISCOURS D'OUVERTURE/
OPENING SPEECH
DISCURSO DE APERTURA

Bernard Quemada
Conseil supérieur de la langue française France
 

Je suis un petit peu désolé dans la mesure où ces petits discours introductifs sont souvent répétitifs, et je reviendrai donc sur un certain nombre de choses qui se sont dites et sont déjà connues de beaucoup d’entre vous.

Madame la présidente, chers collègues, et je dois rajouter chers amis, car j’en compte beaucoup parmi vous.

C’est à la fois honneur et plaisir que m’ont fait les organisateurs de cette réunion en me demandant de prendre la parole ce matin. Honneur de vous souhaiter la bienvenue au nom des autorités françaises, chargées de la politique de la langue, qui porte beaucoup d’attention à cette rencontre, et plaisir de retrouver tous les membres de la famille dont je me réclame : celle des linguistes appliqués et, sachez que ce qualificatif polysémique est pour moi très valorisant, parmi lesquels terminologues et terminographes occupent désormais une place importante. Je parlerai donc au titre de cette double appartenance.

La terminologie, comme tout ce qui concerne l’avenir de nos langues face aux mutations actuelles, s’inscrit dans une double perspective.
- D’une part, dans la problématique du fonctionnement optimal d’une Europe décidée à valoriser la diversité linguistique et culturelle. Vous savez sans doute combien la France s’est investie pour que le principe du plurilinguisme soit officiellement adopté par tous les membres de l’Union.
- Et d’autre part, dans la perspective d’une société de l’information et de la communication, où les nouvelles technologies et leurs possibilités, actuelles et futurs, joueront un rôle de premier plan. Ici encore, la France soutient activement les initiatives nationales et multilatérales en faveur de l’ingénierie linguistique et de la promotion des ressources linguistiques qui conditionnent son développement. Et nous souhaitons, pour notre part, qu’elle fasse encore davantage.

S’il est inutile de développer devant vous le rôle capital de la terminologie dans une société de communication multilingue, il est toutefois agréable de commencer par constater le chemin déjà parcouru. La prise de conscience de l’importance du problème linguistique s’est généralisé, et un certain consensus tente à s’établir quant aux stratégies à conduire. Longtemps négligée puis minimisée, cette importance est à présent reconnue par les autorités responsables, comme est aussi mieux perçue l’ampleur des efforts à accomplir face à l’urgence des nécessités. Aux résultats maintenant d’en confirmer le bien fondé et d’en soutenir les prochaines étapes, et ce n’est pas si facile. L’ampleur et l’intensité du développement des activités scientifiques, économiques ou sociales, démultiplient les besoins en ressources linguistiques. Et d’abord les besoins en données lexicales, indispensables pour traiter et maîtriser les informations qui sont produites de manière exponentielle dans tous les domaines. De sorte que les traducteurs, rédacteurs ou documentalistes peuvent légitimement considérer cette société multilingue comme une société de mots et de termes. Elle en est tout à la fois prodigue sous l’effet d’une néologie galopante, et avide, par manque de termes disponibles, autorisés, surtout normalisés, exempts d’équivoque. Aucun d’entre vous n’ignore les défis ainsi posés, et encore, à l’air l’urgence de trouver des solutions à la hauteur des problèmes à résoudre.

A vrai dire, cette préoccupation n’est pas nouvelle, mais ceux qui en suivent, comme moi hélas, déjà la longue évolution, s’inquiètent à juste titre car les pé

rils s’aggravent. Non seulement, parce que le goulet terminologique freine encore un grand nombre d’applications du génie linguistique, comme les outils d’assistance à la rédaction, à la traduction, à la recherche d’informations. Mais aussi, et c’est encore plus terrible, parce que dans les domaines de pointe, c’est l’usage même de la plupart de nos langues qui est menacé, quand il n’a pas déjà cessé ou n’a jamais pu exister. Dans des pays cousins de la France, c’est déjà la situation actuelle. Ceci, tant leur emploi est tributaire des ressources terminologiques, ressources qui doivent être à la fois disponibles, et de qualité, je le répète.

La plupart de nos pays disposent de comités, d’associations, d’opérateurs nationaux organisés et qui commencent à être efficaces, ou qui le sont déjà depuis longtemps, pour intervenir en faveur de leur langue maternelle, comme en témoigne, d’ailleurs, la diversité et la qualité des participants à cette rencontre. Mais l’ampleur de la tâche implique des efforts planifiés, partagés et coordonnés. La mise en commun et les échanges d’informations et de données, l’organisation du travail en réseau, et en réseau de réseau, en un mot, la coopération sous toutes les formes et à tous les niveaux peut seule laisser espérer des résultats suffisants. Et j’ai bien dit des résultats suffisants, et vous voyez que c’est une ambition encore raisonnable.

Beaucoup d’entre vous militent depuis longtemps en ce sens et ont déjà beaucoup travaillé. Nul n’ignore des normalisations comme Normaterm, au niveau français, Eurodicautom, au niveau européen, et Infoterm, au niveau mondial. De telles entreprises sont précieuses, mais face à une tâche si vaste et toujours à reprendre et à enrichir, il reste beaucoup à faire pour rendre les coopérations encore plus performantes. C’est ce qui nous réunit aujourd’hui, et nous considérons cette conférence, placée sous l’égide de l’Union latine et de l’Association européenne de terminologie, comme une étape importante. Et nous fondons beaucoup d’espoir sur les suites que vous saurez lui donner. C’est pourquoi la France est heureuse d’accueillir cette manifestation et de lui apporter son soutien.

Si j’insiste avec autant de conviction, c’est que le principe de coopération, sur le plan national et international, est à la base des interventions des pouvoirs publics français dans ce domaine. Nous considérons qu’il n’appartient pas à l’État d’être lui-même producteur de terminologie. Ca doit peut-être vous surprendre, parce que vous connaissez certaines de nos actions un peu officielles. Mais l’État doit concentrer ses efforts et ses moyens sur l’incitation et le soutien aux initiatives de recherche et de création de données, sur la circulation et le bon accès aux données disponibles, et sur le développement de structures de travail coopératif, en liaison avec les instances des communautés dont la France est partenaire. A titre d’exemples, voici quelques opérations recommandées par le Conseil supérieur de la langue française, et auxquelles la Délégation générale à la langue française apporte son soutien. Vous entendrez, Madame la Déléguée générale, Madame Anne Magnant, à la séance de clôture, dans deux jours.

Les communications ultérieures, d’ailleurs, vous donneront plus d’informations sur leurs activités. En France, le dispositif d’enrichissement de la langue, rénové depuis trois ans, repose sur une quinzaine de commissions de terminologie spécialisées, patronnées par les ministères correspondants. Ces commissions travaillent désormais en réseau, grâce à une base de données qui permet la participation directe d’experts de tous pays. Au sein de la francophonie, le réseau international de néologie et de terminologie (Rint) poursuit ses activités dans le domaine de l’information sur les ressources terminologiques, les outils informatiques appliqués à la terminologie, la formation. Ce réseau a créé, il y a peu, la base Balnéo, base coopérative d’attestation de néologismes, qui fonctionne dorénavant sur Internet, dotant ainsi les pays francophones, d’un bon outil de travail pour la néologie du français et des langues partenaires.

Dans le cadre de la coopération avec les langues voisines, et en partenariat avec l’Union latine, la Délégation générale à la langue française soutient le réseau Realiter, réseau d’universités, de centres de recherche, d’instituts et d’organismes officiels des pays de langue latine œuvrant dans le domaine de la terminologie, en Europe et en Amérique, et qui a déjà d’importants résultats à son actif. Enfin, dans le cadre de l’Union européenne, la France a participé activement à la mise en place de plusieurs dispositifs ou structures de coopération dans le domaine terminologique, lancés à l’instigation de la Commission et de la DG XIII. Et elle en soutient moralement et matériellement le fonctionnement. Pointer, dont les recommandations ont conduit à la très heureuse création de l’Association européenne de terminologie et du serveur d’information terminologique, Etis. MLIS, multilinguisme et société de l’information, dont plusieurs projets vont être évoqués au cours de ces journées. Ils associent divers pays et langues d’Europe dans le domaine de l’information et de la documentation. Et le développement des outils, banques de données, forums. ELRA, Association européenne pour les ressources linguistiques et ELDA, son agence de distribution de données, qui ont leur siège à Paris. Ces deux structures, qui intéressent la recherche, le développement et les exploitations industrielles, regroupent et valorisent les ressources existantes en vue de leur réutilisation dans de nouvelles applications. Leurs partenaires et clients sont apparités aujourd’hui des organismes de recherche et des industriels. Le catalogue compte déjà, en plus d’importants corpus écrits et parlés, plus de cent cinquante lexiques et plus de deux cent soixante quinze bases terminologique. Et à côté des structures de coopération, il faut mentionner les normes et les formats d’échange qui conditionnent l’efficacité de la coopération. Dans ce domaine, la France a soutenu les efforts menés au sein de l’ISO pour définir et faire adopter la norme internationale Geneter, format générique qui, à partir d’une interface commune, permet l’interrogation des bases de données dispersées et de structure hétérogène.

Nous nous réjouissons donc de voir s’achever une normalisation qui laisse espérer une mise à disposition prochaine de ce nouvel outil qui améliorera l’accessibilité et la circulation des données terminologiques.

Ce survol rapide autorise un certain optimisme pour un lexicologue qui, de longue date, observe et participe, à sa façon, au développement de projets terminologiques et néologiques. Celui qui a vu créer les premières banques de terminologie à Isphra, à Luxembourg, à Montréal, je parle des premières, toutes premières, se doit d’insister sur les progrès et les promesses, par exemple, de la terminotique d’aujourd’hui, après en avoir signalé d’entrée de jeu, les difficultés et les charges. Il en va de même de l’enseignement de la terminologie, introduit d’abord dans les écoles de traducteurs, puis à l’université dans les cursus de deuxième cycle en langues étrangères appliquées (c’était une petite porte à l’époque), il a gagné le troisième cycle spécialisé, celui des DESS. Pour la recherche de haut niveau, les premiers doctorats ont été soutenus en France et le CNRS lui a même confirmé cette reconnaissance dans plusieurs laboratoires, et notamment en intégrant un centre de terminologie et de néologie à l’institut national de la langue française. Si le regard porté en France sur la terminologie et la néologie que nous tenons pour indissociables semble s’attacher principalement à des initiatives universitaires ou institutionnelles, c’est seulement parce que c’est une trace de l’histoire. Chez nous, la méthodologie de ce domaine a d’abord été développée dans les années soixante par des universitaires et des chercheurs lexicologues et sociaux-linguistes. On sait aujourd’hui que le seul concours des linguistes terminologues est insuffisant pour atteindre les objectifs que j’ai évoqué. Les terminologues professionnels, qu’ils ont parfois d’ailleurs contribué à former, possèdent l’expérience concrète des discours de domaines spécialisés et la maîtrise des concepts et des notions correspondants. C’est donc de partenariat et de synergie qu’il s’agit d’établir entre leurs compétences respectives.

Et ceci m’amène à conclure. Coopération certes, nul n’en contesterait la nécessité devant l’ampleur et la complexité de la tâche. C’est donc aux modalités qu’il faut s’attacher et parler, peut-être, d’inter-coopération. Une coopération entre partenaires de même statut, qu’il soit d’un côté professionnel ou d’autre, chercheurs universitaires, ne suffit pas, ne suffit plus : il faut une coopération ouverte, qui associe des partenaires et des compétences complémentaires. Je crois que le mouvement est déjà bien engagé entre équipes universitaires et institutionnelles. Reste la participation de nombreux professionnels dont on peut comprendre les réticences d’hier. Prenant conscience des enjeux, ils peuvent, ils doivent, maintenant adhérer en nombre à des associations en consortium ou toute forme de structure coopérative dont on a déjà apprécié les effets positifs dans des domaines très voisins. Je pense à ELRA, ELDA. Ils n’y seront pas assis sur les plus petites chaises : leur activité, leur sens du réalisme et leur besoin de résultats concrets, sont des atouts essentiels. Mais il faut aussi ne pas se tromper d’objectif, ce n’est pas de profit à court terme qu’il s’agit mais de gagner le combat pour le plurilinguisme européen, sans lequel tout le monde a tout à perdre.

Je vous remercie de votre attention.

 

 

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