Martín Chambi, vie et œuvres

Éléments biographiques

 

Martín Chambi, vie et œuvres

Le Pérou de la fin du XIXe siècle connaît des changements radicaux : l’économie du pays se caractérise avant tout par l’arrivée massive d’investissements provenant de l’étranger sur la quasi totalité des ressources du Pérou (tabac, pétrole, chemins de fer...). L’identité indigène, représente les quatre cinquièmes de la population et devient, par conséquent, la revendication idéale pour activer une résistance politique face à cette invasion des capitaux étrangers (création de l’APRA, mouvement indigéniste, populaire et révolutionnaire).

C’est dans ce contexte tumultueux que Martín Chambi voit le jour le 5 novembre 1891 à Coaza, petit bourg enclavé dans les montagnes de Carabaya, au nord du lac Titicaca. Très vite, la famille du jeune Chambi est contrainte de partir pour travailler au service d’une entreprise britannique – la Santo Domingo Mining Company-, dans les mines d’or de Carabaya. C’est peut-être là que se joue son avenir : le photographe de la compagnie l’initie aux premières techniques de cet art qui deviendra bientôt pour lui une vocation à part entière.

En 1908, il s’installe à Arequipa, importante ville péruvienne où la photographie est déjà bien implantée. Il entre comme apprenti dans le studio de Max T. Vargas, son grand maître, avec qui il collaborera durant neuf ans. L’étape est fondamentale dans l’évolution artistique de Chambi : entouré d’artistes et d’intellectuels, il expose ses photographies pour la première fois au Centre Artistique d’Arequipa.

C’est en 1917 qu’il peut enfin travailler à son compte. Après avoir ouvert un studio à Sicuani où il vit trois ans, accompagné de son épouse Manuela López Silva et de leurs enfants Celia, Víctor et Julia (Angélica, Manuel et Mery naîtront plus tard), il part s’installer à Cuzco où il établit définitivement son studio, calle Marqués.

Chambi atteint là sa véritable apogée : sa production photographique se diversifie. Des portraits en studio il passe aux paysages andins. Même si quelques clichés gardent encore les traces d’un certain académisme hérité d’Arequipa, la maîtrise technique, le travail de la lumière et le sens de la composition témoignent d’un talent indéniable. Ses photos sont largement diffusées, par le biais de cartes postales, dans tout le pays. Son studio devient un haut lieu où les élites artistiques et intellectuelles ont coutume de se réunir.

C’est, par-dessus tout, lorsque Chambi photographie ses frères, les indiens, qu’il excelle dans son art. Il est en effet le premier photographe indigène à avoir dignement éternisé son peuple à travers l’objectif, peuple opprimé auquel il appartient et s’identifie avec fierté. Il dira lui-même : “ me siento como un representante de la raza ; ella habla en mis fotografías ”. Cette œuvre, non seulement importante par sa valeur artistique mais aussi et surtout par le témoignage anthropologique qu’elle offre, révèle la dimension magique qui habite cette culture ancestrale, tellurique et multicolore, survivante des turpitudes de l’Histoire. Ses archives photographiques contiennent près de 30 000 documents photographiques de divers formats (18x24 cm, 13x18, 10x15, 9x12), matériel encore aujourd’hui minutieusement conservé par sa fille Julia, à Cuzco.

Mais le 21 mai 1950, la capitale est frappée par un tremblement de terre qui détruit une grande partie de son centre historique. Ce tragique événement affecte toute la population urbaine et affaiblit l’activité économique et culturelle du pays. La production de Chambi baisse notablement à partir de cette date, mais son rayonnement international continue : en 1958, à l’occasion de ses 50 ans comme photographe, une exposition-hommage a lieu à Cuzco, et six ans plus tard, la Première Convention de la Fédération Internationale d’Art Photographique est célébrée à Mexico D. F où Chambi et son fils Víctor exposent ensemble. Il meurt à Cuzco le 13 septembre 1973 en laissant à ses enfants un héritage considérable pour le patrimoine artistique péruvien.

En 1977, le photographe et anthropologue nord-américain Edward Ranney organise avec Víctor Chambi la venue d’un groupe de coopérants de la fondation EarthWatch (États-Unis) chargés de répertorier et de tirer près de 6 000 plaques de verre. Ce travail de longue haleine a permis de mieux diffuser l’œuvre de Chambi à travers le monde, et c’est en 1979 qu’elle atteint la consécration internationale avec l’exposition au Musée d’Art Moderne de New York qui voyagera par la suite dans tout le continent et en Europe.

Depuis, nombreuses sont les institutions qui se sont intéressées à cette œuvre. D’importants travaux de recherche ont été menés, beaucoup d’articles et de catalogues ont été publiés et les expositions n’ont cesse de voyager, faisant de Martín Chambi le plus prestigieux des photographes indo-américains du XXe siècle.