Je dois savoir gré aux organisateurs
de ce sommet d'avoir bien posé, et imposé,
l'intitulé de mon intervention : "Méthodologies
de coopération en terminologie inter- et
intralinguistique".
Je remarque que les intervenants qui ont parlé
depuis ce matin sont dans cette tradition de réseaux
linguistiques. J'ai noté aussi les paroles
du délégué général
à la langue française et aux langues
de France, M. Bernard Cerquiglini :
sur la "mutualisation" : si
nous avons engagé des structures de type
"réseaux", c'est pour mettre
en commun nos recherches et faire bénéficier
chacun de nos travaux et savoir-faire.
sur la "romanité intrinsèque
à la France" : c'est là un
point de reconnaissance et d'identité
dont nous sommes fiers.
J'essaierai d'apporter, dans une réunion
comme celle-ci, quelques-uns des éléments
d'information et de réflexion susceptibles
d'aider au développement de la coopération
linguistique en Europe et au-delà.
Si je peux parler de l'expérience en
réseau intralinguistique, c'est que j'ai
eu la chance d'être pendant près
de 15 ans, responsable du service de terminologie
de ce qui est devenue la Délégation
générale à la langue française
et aux langues de France. Ce n'est pas un mince
travail de faire travailler ensemble, sur une
même langue, à mon époque
le français, des spécialistes d'une
même discipline : ils ne sont pas d'accord
entre eux ; des spécialistes de disciplines
différentes : ils se rejoignent rarement
; des spécialistes de pays différents
: ils ne se comprennent pas.
Je parlerai plutôt aujourd'hui de l'interlingusitique,
plus particulièrement de Realiter, le Réseau
panlatin de terminologie. C'est une belle idée
que nous avons eue, avec Daniel Prado, en 1993,
à un moment où l'on parlait plutôt
en termes de commissions de terminologie. Et nous
l'avons mise en place aussitôt, dans l'innocence
de nos jeunes années. Je dis toujours :
c'est une des plus belles idées de ma vie.
Mais elle n'est pas sortie de rien. Nous avons
pris exemple de la magnifique expérience
que constituait à la même époque
le travail du RINT : le Réseau international
de néologie et de terminologie francophone
créé en 1986 lors du premier sommet
de la francophonie. Louis-Jean Rousseau, ici présent,
en a été longtemps le principal
maître d'œuvre. Prenant appui sur le
fonctionnement du RINT, nous avons mis en place
le règlement de Realiter et les modes de
fonctionnement du réseau.
Il y a une chose dont la perspective se perd
peu à peu aujourd'hui : en 1993, à
la première réunion de Realiter
à Paris, ce réseau était
un réseau de personnes en chair et en os.
Ça l'est toujours, heureusement. Mais nous
n'avions pas idée à ce moment de
l'arrivée d'Internet, qui commence à
s'implanter en France, hors des réseaux
de recherche scientifique, en 1994. Nous constituons
donc un réseau, Realiter, mais sur un schéma
de fonctionnement encore fondé sur le téléphone,
la télécopie et les réunions.
Mettre l'idée en place n'était pas
suffisant. Il fallait que nos collègues
latinophones croient à cette idée
folle. C'est ce qu'ils ont fait. S'en sont ensuivi
de merveilleuses amitiés au sein de ce
réseau et une histoire d'amour.
Il est très émouvant de voir chacun
dans les réunions de Realiter, parler sa
langue et se faire comprendre des autres de cette
façon, sauf cas de difficulté majeure
de compréhension. Cela a été
une volonté de départ. Nous sommes
évidemment aidés par la proximité
d'histoire et d'origine de nos langues néolatines.
Nos projets se font aussi en plusieurs langues
latines, aujourd'hui près d'une dizaine.
Nous y incluons aussi l'anglais, pour la commodité,
et parce qu'on peut la considérer comme
une langue latine, le français ayant latinisé
l'anglais au Moyen-Âge…
Il est émouvant aussi de voir chacun
apporter, comme dans une auberge espagnole (c'est
comme cela que l'on dit en français), ses
idées, ses compétences, ses moyens.
Un des grands principes sur lesquels repose notre
liberté de travail est que nous ne recevons
pas, pour les projets que nous élaborons
au sein de Realiter, de financement en tant que
tel. C'est la réunion des moyens et du
temps de chacun qui est le moteur des projets,
sauf lorsqu'il y a besoin de soutenir tel ou tel.
Nous avons ainsi élaboré plusieurs
dictionnaires et lexiques que nous appelons "panlatins"
: car ils fournissent des équivalents dans
la plupart des langues néolatines. Vous
les trouverez sur Internet, en particulier sur
le site de Realiter. Nous avons également
élaboré des outils de travail, tel
la table des formants en langues latines. Elle
nous permet par exemple la création en
commun, et sur des étymons communs, de
terminologies en langues néolatines. Autre
exemple : Balnéo 2, qui est une base d'attestations
de néologismes en langues néolatines.
Nos grands atouts aujourd'hui sont au moins
de trois ordres :
1. Nous avons instauré un mode de fonctionnement
administratif qui évite les dérapages
et les incompréhensions.
2. Nous avons fixé une méthodologie
de travail commune, qui permet des procédures
efficaces de travail en commun. Je vous donnerai
quelques exemples de problématiques ardues
auxquelles nous avons dû nous atteler
: le marquage géographique des termes
et des équivalents traités en
langues néolatines ; le statut des termes
que nous sommes amenés à privilégier
; la position de l'anglais dans nos travaux,
etc.
3. Nous jouissons d'un réseau de chercheurs
et responsables linguistiques à travers
le monde qui offre un immense potentiel. Nous
sommes ainsi aidés par le Bureau fédéral
de traduction du Canada, par la Délégation
générale à la langue française
et aux langues de France, par l'Office de la
langue française du Québec.
Les choses avancent donc, grâce à
un secrétariat et à une administration
stricte de Realiter dont nous fait bénéficier
l'Union latine. Le tout dans une ambiance joyeuse
: nous venons là travailler volontairement,
c'est donc pour le plaisir. je sois dire qu'à
ce jour nous avons essayé presque toutes
les danses latines et néolatines.
Cependant, au moins trois enjeux sont devant
nous :
1. Transformer le réseau REALITER en
véritable réseau électronique.
Cela est déjà largement fait,
mais il nous reste à progresser encore.
Ce qui est fait est déjà très
appréciable, notamment les sites Internet
et les listes de diffusion largement ouvertes
sur le monde et sur des chercheurs qui n'appartiennent
par forcément au réseau Realiter.
La dynamique qui s'ensuit est très riche
et stimulante.
2. Résoudre la question des outils
de travail en commun. Il est aujourd'hui par
exemple encore très difficile de mener
des travaux terminologiques à plusieurs
si on utilise des logiciels inadaptés
ou différents. Par exemple, le traitement
pour nos langues néolatines, de certains
caractères typographiques, demande des
efforts d'ingénierie linguistique.
3. Résoudre la dimension psychologique
qui s'attache à l'utilisation même
des outils de travail et de communication. Nous
savons qu'il ne s'agit pas seulement d'avoir
des outils pour que le travail se fasse. Il
faut que les personnes aient le réflexe,
l'envie et besoin de s'en servir.
Il reste donc à faire. Mais si je me
retourne sur le chemin parcouru, je vois avec
satisfaction notre réseau, Realiter, devenu
réalité. Il bénéficie
d'un énorme potentiel d'idées, de
travail et de reconnaissance à travers
le monde. Mais comme tout réseau, intra-
et interlinguistique, il est obligé de
s'adapter en permanence. |