Avocat
Chargée d’enseignement
à l’Institut d’Etudes Politiques
de Paris
Chargée d’enseignement à Paris
I
La terminologie est une discipline et une activité
tendue entre valeur patrimoniale et contrat social.
Le droit de la propriété littéraire
et artistique peut en effet être convoqué
pour régir ce bien, la protection juridique
des bases de données offrant un cadre légal
à la reconnaissance de ce bien informationnel
; cependant la nature même des éléments
composant la base terminologique plaide en faveur
d’un compromis favorable à la libre
circulation de l’information. En effet un
contrat social existe implicitement en matière
de propriété littéraire qui
impose des limites aux vertus appropriatives du
droit. Une langue, des mots dont l’usage
doit être partagé ne sauraient relever
du domaine privé. Entre œuvre et domaine
public, la terminologie met en lumière
de possibles conflits d’appartenance.
I. Une protection liée
à un recueil
Le droit de la propriété littéraire,
avec ses textes nationaux, internationaux et européens,
semble approprié à la protection
de l’activité terminologique. En
effet, ce droit ayant pour objet l’œuvre,
toute création de forme, toute réalisation
d’une idée ou matérialisation
d’une conception qui présenterait
une originalité, à savoir la traduction
d’une personnalité ou d’un
choix intellectuel, relèverait de cette
catégorie. La qualification d’œuvre
à laquelle est subordonnée la mise
en œuvre du droit de la propriété
littéraire, dépend de la réunion
des critères nécessaires et suffisants
que sont la création de forme et l’originalité.
Aucun autre critère n’est valide
et le caractère littéraire est attribuée
à toute œuvre composée de mots
et non parce qu’elle serait ainsi qualifiée
par la société ou l’université
de lettres. La terminologie, sciences des termes
et valeurs sémantiques tout autant que
système linguistique, pourrait relever
de la création littéraire dès
lors qu’elle produit, fabrique des mots
qui ne seraient pas usuels, qui ne relèveraient
pas d’une langue déjà collectivement
utilisée. Cette condition est essentielle
car la transcription écrite d’une
langue orale ne saurait, par exemple, conférer
au transcripteur, de droit sur la langue. Or si
création de mots il y a, celle-ci ne saurait
prétendre à un régime appropriatif.
En effet les mots produits ont pour vocation d’être
utilisés, de s’imposer même
obligatoirement par l’effet d’une
loi, d’être diffusés au moyen
de leur utilisation collective. Dès lors
il n’est pas possible de pousser plus avant
l’analogie entre le régime de l’œuvre
et celui qui pourrait être celui de la terminologie.
Pourtant la création de lexiques exige
des investissements en termes de moyens humains,
de moyens techniques mais aussi en termes de temps
et d’argent. Or l’absence de protection
dont la violation serait sanctionnée ne
saurait qu’encourager des manœuvres
indélicates consistant en l’exploitation
non autorisée et non rémunérée
des travaux effectués. Une catégorie
juridique semble alors accueillante, il s’agit
de celles des bases de données.
La directive du 11 mars 1996 énonce en
son article 1er al.2 : « Aux fins de la
présente directive, on entend par «
base de données » : un recueil d’œuvres,
de données ou d’autres éléments
indépendants, disposés de manière
systématique ou méthodique et individuellement
accessibles par des moyens électroniques
ou d’une autre manière ». L’article
3 al.1 énonce quant à lui une règle
de droit de la propriété littéraire
comme étant le critère opérant
de la distinction entre les bases de données
protégeables et celles qui ne le sont pas.
Il énonce ainsi : « Conformément
à la présente directive, les bases
de données qui, par le choix ou la disposition
des matières constituent une création
intellectuelle propre à leur auteur sont
protégées comme telle par le droit
d’auteur. » La Convention de Berne,
premier texte international définissant
des règles communes de propriété
littéraire et dont le texte initial date
du 9 septembre 1886 (plusieurs révisions
et aménagements l’ont enrichi par
la suite), a, par son paragraphe 5 de son article
2 (« Les recueils d’œuvres littéraires
ou artistiques tels que les encyclopédies
et anthologies […], par le choix ou la disposition
des matières, constituent des créations
intellectuelles sont protégées comme
telles ») fortement inspiré la rédaction
européenne. Le texte européen a
été transposé dans les différentes
législations nationales conformément
au principe d’effet indirect comme à
celui du processus d’intégration.
En France la loi du 3 juillet 1998 consacre la
base de données comme un objet légalement
protégé (ce que la jurisprudence
avait permis antérieurement de faire avec
un certain bonheur (arrêts Microfor/Le Monde)
mais aussi une certaine fragilité (affaire
Coprosa). Le terme « base de données
» est un terme générique qui
n’est subordonné à aucune
acception professionnelle ou statutaire : «
On entend par base de données un recueil
d’œuvres, de données ou d’autres
éléments indépendants, disposés
de manière systématique ou méthodique,
et individuellement accessibles par des moyens
électroniques ou par tout autre moyen ».
Ceci a pour conséquence que « Les
auteurs de traductions, d’adaptations, transformations
ou arrangements des œuvres de l’esprit
jouissent de la protection instituée par
le présent code sans préjudice des
droits de l’auteur de l’œuvre
originale. Il en est de même des auteurs
d’anthologies ou de recueils d’œuvres
ou de données diverses, tels que bases
de données, qui, par le choix ou la disposition
des matières, constituent des créations
intellectuelles. » Choix et disposition
des matières déterminent donc le
caractère d’œuvre, la qualité
d’objet protégé de la base
de données. L’activité de
création terminologique trouverait donc
dans la protection des ensembles terminologiques,
des recueils lexicaux, un fondement. Œuvre,
la base de données confère à
son producteur les prérogatives traditionnellement
reconnues à l’auteur : les droits
moraux et patrimoniaux, ces derniers lui permettant
de contrôler toutes les modalités
d’exploitation de la base de données.
Les droits patrimoniaux sont des droits d’exploitations,
c’est-à-dire des droits qui confèrent
au titulaire de droits (l’auteur ou ses
ayants-droits, ayants-causes) le droit de consentir
ou de s’opposer à un usage de l’œuvre
et ce, durant soixante dix ans à compter
de l’année de fabrication. Autrement
dit toute exploitation faite sans son consentement
est illicite et à ce titre sanctionnée
par les dispositions relatives à la contrefaçon.
La mise en œuvre d’un droit d’exploitation
suppose donc la cession écrite d’une
ou plusieurs modalités d’exploitation
précise : imprimer un livre et numériser
une œuvre relèvent tous deux du droit
de reproduction mais ne constituent pas la même
modalité d’exploitation. Ainsi toute
fixation matérielle de l’œuvre
permettant de communiquer indirectement celle-ci
au public doit être définie à
travers la modalité choisie. Il en est
de même pour la représentation ou
la mise à la disposition du public. Autrement
dit encore un tel régime juridique permet
au producteur de base de données de décliner
très exactement les usages qu’il
entend autoriser ou interdire à son cocontractant.
Ces contrats étant fondés sur un
intuitu personnae (contrat signé
en raison de l’identité du cocontractant),
il lui est également possible de frapper
d’incessibilité le droit ainsi accordé.
Le traité de l’OMPI (Organisation
mondiale de la propriété intellectuelle)
en date du 20 décembre 1996 s’est
fait l’écho, sur le plan international
cette fois et non plus seulement européen,
des définitions et protection des bases
de données. Son article 5 énonce
: « Les compilations de données ou
d’autres éléments, sous quelque
forme que ce soit, qui, par le choix ou la disposition
des matières, constituent des créations
intellectuelles sont protégées comme
telles. Cette protection ne s’étend
pas aux données et éléments
eux-mêmes et elle est sans préjudice
de tout droit d’auteur existant sur les
données ou éléments contenus
dans la compilation ». Sous une réserve
résultant de l’usage du terme «
compilation » guère usité
dans les textes européens et français,
les dispositions du traité ne diffèrent
guère de celles de la directive européenne
et de la loi française. Encore une fois,
le texte de la Convention de Berne, si ancien
soit-il, refait surface avec une étonnante
modernité ! On assiste ainsi à une
véritable internationalisation ou «
mondialisation » du droit.
II. Une protection contre
les pratiques déloyales
Toutefois, parce que la faiblesse de la base
de donnée réside dans ce qui la
constitue juridiquement, à savoir d’être
un rassemblement organisé de données
individuellement accessibles par des moyens électroniques
ou par tout autre moyen », elle souffre
des pratiques de déchargement partiel auxquelles
l’exposent les nouvelles technologies tout
autant que la malhonnêteté. C’est
la raison pour laquelle, pragmatique et au fait
des pratiques indélicates et déloyales,
le législateur a entériné
le texte européen en sa partie novatrice,
à savoir le droit sui generis.
Celui-ci se voit consacré au chapitre
III de la directive dont l’article 7 énonce
: « Les états membres prévoient
pour le fabricant d’une base de données
le droit d’interdire l’extraction
et/ou la réutilisation de la totalité
ou d’une partie substantielle, évaluée
de façon qualitative ou quantitative, du
contenu de celle-ci, lorsque l’obtention,
la vérification ou la présentation
de ce contenu atteste un investissement substantiel
du point de vue qualitatif ou quantitatif. »
Il s’agit d’un droit créé
spécifiquement pour les producteurs de
bases de données. L’extraction est
le premier terme affecté par le droit d’interdire
créé pour le fabricant de la base.
La directive européenne entend par extraction
« le transfert permanent ou temporaire de
la totalité ou d’une partie substantielle
du contenu d’une base de données
sur un autre support par quelque moyen ou sous
quelque forme que ce soit ». Ainsi toute
fixation matérielle, indépendante
du procédé technique de fixation
et indépendante du caractère transitoire
ou non de la fixation, peut être interdite
par le fabricant.
La réutilisation est entendue par le même
texte comme « toute mise à la disposition
du public de la totalité ou d’une
partie substantielle du contenu de la base par
distribution de copies, par location, par transmission
en ligne ou sous d’autres formes».
Les actes de communication impliquant une mise
à disposition de l’information sont
donc également concernés par cette
interdiction, ou, plus précisément,
par ce droit d’interdire. L’interdiction
de la réutilisation et de l’extraction
est subordonnée au caractère intégral
ou substantiel des extractions et réutilisations.
L’évaluation du caractère
substantiel peut-être qualitative ou quantitative
: le qualitatif renverra à la valeur des
données empruntées (rareté,
coût de collecte et d’obtention…),
le quantitatif renverra à l’importance
numérique des emprunts.
A cela s’ajoutent d’autres interdictions
qui trouvent leur fondement dans le caractère
répété et systématique
d’actes contraires à l’exploitation
normale d’une base. L’article 5 énonce
en son paragraphe 5 : « L’extraction
et/ou la réutilisation répétée
et systématique de parties non substantielles
du contenu de la base de données qui supposeraient
des actes contraires à une exploitation
normale de cette base, ou qui causeraient un préjudice
injustifié aux intérêts légitimes
du fabricant de la base, ne sont pas autorisées
». Ce sont les aspects répétitifs
et systématiques des emprunts et actes
divers qui sont visés. Parce que méthodiques,
ces utilisations sont constitutives d’entraves
à l’exploitation normale de l’œuvre
et causent un préjudice au fabricant.
Tandis que le droit de la propriété
littéraire aménage une durée
protectrice relativement longue, le droit sui
generis qui produit ses effets dès
l’achèvement de la fabrication de
la base, expire quinze ans après le 1er
janvier de l’année qui suivant sa
date d’achèvement. Mais c’est
à tort que l’on peut craindre un
décalage temporaire de protection entre
le contenant (la base) et le contenu (les données)
car le texte prévoit de larges possibilités
d’allongement et de renouvellement de la
durée de protection du contenu. Le paragraphe
3 de l’article 10 consacré à
la durée de protection énonce :
« Toute modification substantielle, évaluée
de façon qualitative ou quantitative, du
contenu d’une base de données, notamment
toute modification substantielle résultant
de l’accumulation d’ajouts, de suppressions
ou de changements successifs qui feraient considérer
qu’il s’agit d’un nouvel investissement
substantiel, évalué de façon
qualitative ou quantitative, permet d’attribuer
à la base qui résulte de cet investissement
une durée de protection propre ».
Il semblerait donc que l’arsenal juridique
qu’offre le régime juridique de la
protection des bases de données soit adapté
à l’objet recueil terminologique.
Cependant, comme nous l’évoquions
en introduction, un contrat social existe implicitement
en matière de propriété littéraire
qui impose des limites aux vertus appropriatives
du droit. Si le droit du public à la connaissance
ou à l’information ou encore à
la lecture ont pu justifier des entorses (les
exceptions légales au droit d’auteur),
parfois sans fondement légal (le prêt
public en bibliothèque longtemps en France),
au droit de l’auteur, ces mêmes droits
ou principes supérieurs conduisent à
penser qu’une langue, des mots, dont l’usage
doit être partagé ne sauraient relever
du domaine privé. La finalité même
de la terminologie, fournir des moyens linguistiques
permettant la désignation d’idées
ou de choses, offrir des correspondances reconnues
entre des réalités et les mots qui
les disent et ce pour l’usage effectif que
peuvent en faire les spécialistes comme
les non spécialistes, s’oppose à
la reconnaissance d’un monopole.
De plus, bien souvent produites par des institution
organiquement publiques qui par ailleurs les imposent
et les rendent opposables à tous, les bases
de données terminologiques sont des œuvres
destinées à la « consommation
» publique, insusceptibles de rétention.
Dès lors on ne peut que se retourner vers
l’étude des documents (identifier
la tutelle, nature publique ou privée de
l’organisme) qui fondent de telles créations,
comme sur la mission que ces mêmes documents
reconnaissent à ces producteurs. Enfin
on peut penser que le système des concessions
avec obligation de diffuser et de mise à
disposition du public selon des conditions financières
précises ne faisant pas obstacle à
l’accès du public à l’information,
suppléerons à ces contradictions
de texte et de principes.
Le droit protecteur existe donc mais celui-ci
peut être suspendu, ou tout au moins son
exercice, en raison même de la vocation,
de la destination de l’objet qu’il
protège. S’il en est ainsi des lois,
actes officiels qui peuvent prétendre à
la qualité d’œuvre mais qui
relèvent du domaine public, il n’en
est pas de même de certaines normes pourtant
opposables à tous. Sans doute la terminologie
trouvera-t-elle contractuellement une voie entre
monopole opposé à la diffusion et
reconnaissance favorable à la diffusion.
L’application du droit est bien souvent
subordonné à des principes et consensus
plus fortement déterminants que les lois.
La directive européenne du 22 mai 2001,
quant à elle, semble étayer l’érection
d’une frontière, entre droits effectifs
et droits limités ou suspendus, sur la
finalité même des usages poursuivis
par une modalité d’exploitation.
Dès lors l’accès à
la reconnaissance de la qualité d’œuvre
n’est pas le problème central pour
ces productions terminologiques, mais la reconnaissance
des conséquences de cette qualité
relèvent, elle, plus que de la loi, de
principes fondés sur le consensus et les
choix politiques.
[1]Ouvrages publiés
Droit et littérature, essai sur le
nom de l’auteur, PUF,septembre 2001.
Le Droit des bases de données,
(projet européen Decidoc livre/formation;
programme Léonardo : livre électronique)ADBS,
2000.
Le droit d’auteur dans l’édition,
Imprimerie Nationale, 1993.
Livre blanc du multimédia, Syndicat
National de l’Édition (ouvrage collectif),
1992.
Les aspects juridiques de l’information,
ESF Éditeur, 1991.
131, rue du Bac - F-75007 Paris
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