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Le puissant flux migratoire provoqué par la fièvre de l’or,
dans les deux premières décennies du XVIIIe siècle,
a pu charrier des livres et des gravures, mais aussi, sinon des architectes,
tout au moins des professionnels de la construction. De fait, la présence
de deux d’entre eux venus de Lisbonne, très probablement
deux frères, est attestée à Ouro Preto à partir
de 1720 : Antonio Francisco Pombal, mentionné de 1721 à
1745, et Manuel Francisco Lisboa, repéré de 1727 à
1767. Le premier intervient vers 1730 à la « matriz »
(église paroissiale) du Pilar, dont il respecte les volumes extérieurs
très simples, tout à fait conformes à un aspect essentiel
de l’architecture portugaise de la Renaissance, et dans lesquels
il emboîte un décagone allongé en ellipse, d’une
nouveauté surprenante dans l’art colonial. Manuel Francisco
Lisboa travaille d’abord à Nossa
Senhora da Conceição (« matriz » du quartier
dit d’Antonio Dias, en souvenir du découvreur des mines d’or),
dont le plan reste très conservateur, puis un peu plus tard, à
partir de 1743, à Santa
Efigênia, église d’une confrérie de Noirs,
dont le plan est plus raffiné et dont les tours de façade
sont élevées en hors-d'œuvre, selon une formule novatrice
; et enfin à la chapelle du Tiers
Ordre « do Carmo », dont il donne en 1766 un plan dont
le principe reste très linéaire, avant qu’il ne soit
remanié après 1770 par son fils.
Pour apprécier l’art d’Ouro Preto, en fonction de
son temps et de son lieu, nous disposons d’un document précieux
: c’est un rapport sur les évènements notables de
la capitainerie, rédigé en 1790 par J. J. Da Silva, conseiller
communal de Mariana, et qui comporte un développement sur l’évolution
artistique, témoignant d’une vive sensibilité aux
problèmes de la création artistique. Da Silva parle très
justement, à propos de cette période, d’une volonté
de structure « à la Scamozzi et à la Vignola »
: la référence aux traités de la Renaissance est
tout à fait remarquable. Et fondamentalement juste en ce qui concerne
l’aspect extérieur. Pour ce qui est des intérieurs,
Da Silva souligne une profonde contradiction entre cette sobriété
structurale et la passion débordante pour le décor, qui
s’exprime dans les autels ; à propos de certains d’entre
eux, il parle même d’un « goût gothique »,
comme un homme des Lumières ! Certes, ces autels dorés,
avec leurs baldaquins imposants et leurs supports surchargés, font
un contraste frappant avec la simplicité des volumes. Ce baroque
surchargé correspond en fait à ce qui était à
la mode à Porto à la fin du XVIIe siècle.
Ce style évolue à partir de 1740 environ, sous l’influence,
en particulier, de Francisco Xavier de Brito, qui apparaît, en 1746,
dans un contrat pour le maître-autel du Pilar, mais dont on ne connaît
malheureusement ni l’origine, ni la formation. Il travaille selon
les critères qui dominent à Lisbonne vers 1725. Si ces autels
au Pilar, à Santa Efigênia et à Nossa Senhora da Conceição
conservent leurs imposants baldaquins, leur structure est déjà
quelque peu allégée et l’emploi des volutes leur apporte
un certain dynamisme, mis en valeur par l’abandon de la dorure solennelle
au profit d’une couche de peinture blanche, rehaussée par
un filet doré. C’est ce que Da Silva appelle le « goût
français ».
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