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Dans son rapport de 1790, J. J. Da Silva, reconnaissant, avec une remarquable
intuition, l’exceptionnelle personnalité de l’Aleijadinho,
le qualifie de « nouveau Praxitèle ». On pense à
la relation d’Amerigo Vespucci, en 1503, sur sa navigation le long
de la côte du Brésil : fasciné par le spectacle de
la nature tropicale, il écrit qu’il avait vu des merveilles
telles que même l’ « antique Praxitèle »
aurait été incapable de les peindre (tant pis si le navigateur
a oublié que son artiste de référence était
un sculpteur !). Le cycle s’est refermé : la réalité
flamboyante du Brésil est au-delà des normes classiques
d’un Praxitèle ; mais peu importe, puisque le Brésil
a produit lui-même un Praxitèle. J. J. Da Silva avait compris
l’essentiel : l’Aleijadinho se rattache à une glorieuse
lignée de l’art occidental.
Ouro Preto reste à jamais marqué par cette fièvre
de construction qui a suivi la découverte de l’or autour
de 1700. On reste confondu devant l’ampleur, la rapidité
et la pérennité de cette métamorphose : en cinquante
ans à peine, de cette terre désertique, et inconnue, isolée
et tourmentée, surgit une véritable ville, avec sa population
et son administration, ses bourgeois éclairés et ses chercheurs
d’or, Portugais et Créoles, Blancs et Noirs, Indiens et Métis,
hommes libres et esclaves, tous associés dans les fêtes et
les processions, tous intégrés dans les paroisses et les
confréries. Une ville avec sa parure d’églises et
de chapelles, qui semblent s’accorder de toute éternité,
avec les montagnes et les bois, et le ciel toujours changeant, et qui
sont faites pour rester les témoins de la naissance et de la prise
de conscience d’une nouvelle entité. Un phénomène
aussi soudain, profond et durable est exceptionnel : c’est la gloire
d’Ouro Preto. C’est le lieu où s’est forgé
le Brésil de l’Indépendance ; c’est le lieu
où le Brésil s’est identifié à l’art
baroque. Restée inachevée, la façade de la paroisse
du Pilar est terminée de 1847 à 1852, dans le style de l’apogée
des années 1760, comme si rien ne pouvait troubler l’harmonie
du paysage et de l’architecture.
Édouard Pommier
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